Au début des années 80, le saxophoniste Steve Houben est déjà un musicien expérimenté avec diverses expériences derrière lui comme le Open Sky Unit avec Jacques Pelzer et Mauve Traffic avec Bill Frisell. Quant au pianiste Charles Loos, il est de la même génération que Houben et a fréquenté comme lui le « Berklee College of Music » à Boston avant d’entreprendre une carrière jazz et de collaborer à des groupes de fusion (Abraxis) et d’avant-garde (Julverne). Normal dès lors que, dans un petit pays comme la Belgique, les destins de ces deux artistes se soient à un moment croisés. Sur scène d’abord et ensuite, en 1982, dans le studio Igloo à Bruxelles où ils furent enregistrés en duo, sans autre témoin que l’ingénieur du son Daniel Léon, pour un disque en vinyle intitulé Comptines, une vraie rareté éditée à l’époque sous la référence Hasard 1002.
Sur ces neuf miniatures, les deux complices s’épaulent et dialoguent dans une ambiance détendue. Loos a déjà ce jeu posé, un peu précieux, qui ourle en souplesse les volutes d’improvisation pures et précises d’un saxophone alternativement alto, soprano ou ténor. Leur musique s’inscrit de plein pied dans ce nouveau jazz de chambre qui venait d’être inventé dans la décennie précédente par ECM et auquel aspiraient désormais nombre de jazzmen européens. Emblématique de cette approche, Valse de Nuit procure une sensation de rêve sous les étoiles, de temps suspendu, d’état subconscient qui oscille constamment entre bien-être et mélancolie. Sur Comptine-Adagio, les sax se superposent tandis qu’un synthétiseur est subtilement utilisé pour un effet d’orchestration stupéfiant. Même affublé de titres humoristiques ou intrigants comme Ça C’est Méchant, la musique reste gracieuse, élégante, nostalgique, pudique et consciente de ses profondes racines classiques, lovée dans une pose mi-rêveuse mi-solennelle qui est d’ailleurs celle du disque entier. Ce fut l’acte fondateur d’un tandem qui eut par la suite une existence fournie, jouant à plusieurs occasions en duo ou dans d’autres configurations, notamment avec Ali Ryerson ou Maurane en trio, ou avec le quatuor à cordes Thaïs.
Etant un peu court dans sa durée de 35 minutes, le LP original a été complété par quatre titres plus récents. Deux d’entre eux, Catherine En Campine et Just A Jazz Waltz ont été captés en concert dans la prestigieuse Salle Philarmonique de Liège. Avec Loos cette fois à l’orgue, la musique est certes plus austère mais elle acquiert aussi, par ses nouvelles couleurs, une dimension plus dramatique. Quant aux deux dernières pièces, elles ont à nouveau été enregistrées au studio Igloo mais cette fois en 2016 et leur écoute, à l’heure du thé et des madeleines, confirme que ces conversations intimes, entamées il y a trente-quatre années, n’ont pas pris une seule ride.(Pierre Dulieu)
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