Charles Loos utilise ici pour la première fois le fabuleux piano ” Fazioli”, que nous avons découvert – non sans fascination – lors des récitals du pianiste Omar Yagoubi au “Travers”, où ce disque a été enregistré en mai 1987. Mieux que des accompagnateurs, Philippe Aerts à la basse et Félix Simtaine à la batterie sont des complices inspirés. Un pacte étroit, tacite existe entre eux et le pianiste.
“Tintamarre” est une oeuvre où l’esprit brutal – parfois abrupt – du blues est tempéré par un flagrant délit d’intelligence. Le morceau évolue semé de romantisme jusqu’à la note finale en forme de clin d’œil.
” Histoire de temps” de Pascal Chardome, le thème lancinant évoque un visage de femme d’une infinie tristesse, une mélancolie issue de Gabriel Fauré, avec des accords de fin du monde et des changements de tons à donner la peau ansérine.
Philippe Aerts manie, à la basse, des sortilèges d’une justesse confondante, proche de celle de Ron Carter. Le “Nocturne” de Wissels est élaboré en fonction d’une écriture volontairement saccadée, nimbée de tendresse amère mais d’un caractère impétueux. Depuis l’accomplissement de sa maturité artistique, Charles Loos a largué les amarres des influences d’antan. Bill Evans, Mc Coy Tyner et Keith Jarrett demeurent néanmoins des maîtres auxquels il aime faire référence avec discrétion.
La ” Suite” est articulée en trois mouvements: “La ballade sans nom, “Macédoine et “Ca comence bien”. L’étonnante diversité du pianiste-compositeur s’y assouvit avec une manière constante d’ennoblir les thèmes, de broder en douce, d’y revenir, de simuler l’abandon de la trame, alors qu’elle éclaire en veilleuse comme un fanal. Ce va-et-vient évoque la Commedia dell ‘Arte. “La Ballade sans nom” fait indirectement appel à Chopin. S’il avait vécu en 1988, il aurait écrit de cette manière tout en ayant soin de préserver l’évocation de plénitude d’un étang calme, d’où s’exhale une moiteur de brume. Musique issue d’une chair vulnérable, elle s’orne de pulsions sournoises de valses lente, puis de bossa nova. Avec une insolente pudeur, Félix Simtaine a attendu le dernier moment pour aviver encore de ses martèlements, un climat de liberté aux ailes ondoyantes d’harmonies, génératrices de semences inespérées. (Marc Danval)
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