Cet album ne vole pourtant pas au ras des « Betteraves » — malgré la chanson homonyme. Si Semal décline avec verve son sujet fétiche (le sulfureux « Chanteur Brelge », le désopilant « Denis Collard » et une orageuse reprise du « Pays Petit »), « Belgik » s’ouvre largement aux interrogations du monde (« Bonus Mali », « Un enfant naît-il ?») et même au mystère des étoiles (« Dans chaque feu », « Toutes les choses »). Belge et universel, grave et ludique, moderne et nostalgique, poétique et trivial, il frémit aux friselis du quotidien (« Les Moineaux », « Les Vaches cannibales ») comme au grand vent de l’Histoire (« Les révolutions »). Les superbes et subtils arrangements de Jean-Luc Fafchamps n’y sont pas pour rien. Ce pianiste et compositeur virtuose, qui jouait tout Ferré les yeux fermés à 17 ans, accompagne aujourd’hui l’ensemble Ictus et la compagnie Rosa’s. Punk tyrolien, ska cosaque, valse Potemkine, berceuse Playmobil, cuivres et balafon : l’arrangeur s’est visiblement amusé, sans jamais brider son émotion. Le son et le mixage de Rudy Coclet (Arno, Sharko,…) ont renforcé cette palette dans les basses, le brut, le délicat, et l’étrange. Plus rosse, plus rauque et plus rock. Mais on dira peut-être que Semal, c’est avant tout des textes. On pourrait presque enfiler ses mots comme dans un inventaire à la Prévert: «Cerisier – Kronstadt – libellule – Vlaams Belang – tsunami» ou encore «Drache – Sarkozy – dentifrice – salamandre – Peugeot». Mais le plus simple n’est-t-il pas de laisser la parole à ce tout jeune ( ?) papa qui, dans « Bienvenue chez les Fourmis », célèbre ainsi la naissance de son fils : “Bienvenue chez les prolos / Qui n’ont que leur boulot / Pour jamais faire fortune / Un bourgeois de trois kilos / Ca naît déjà dirlo / Le cul bordé de thunes / Toi t’auras que tes grelots / Pour toucher le gros lot / Et te payer la lune / Qui chauffe moins que le soleil / Mais qui brûle pareil / Qui s’y frotte les plumes… “. Cette lune-là, pour 42 minutes de bonheur, on peut aujourd’hui, sans craindre les brûlures s’y frotter le cœur et les oreilles.
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